Inutile de vous dire que ça fait tout un velours aux auteurs.
Lettres Québécoises Automne 2016 |
**** 1/2
La femme au cartes postales
Vies jazzées
Les noms de Eid et de Claude Paiement sont connus des amateurs de bande dessinée, car l’un est le dessinateur et l’autre le scénariste de la série Le naufragé de Memoria, publiée au début des années 2000. Le premier est aussi le créateur de Jérôme Bigras, personnage mythique né dans les pages du défunt magasine Croc, alors que le deuxième a écrit plusieurs œuvres théâtrales jouées un peu partout à travers le monde. Ils se réunissent à nouveau pour La femme aux cartes postales, dans un registre qui leur est nouveau et qui leur sied à merveille
Aller-retour dans l’espace-temps
Le récit commence avec la fugue de Rose, une jeune fille issue d’un village éloigné, qui part pour Montréal afin de réaliser son rêve : devenir chanteuse de jazz dans les clubs à la mode. Son ami d’enfance, Roméo, est pianiste dans certains de ces bars. Il se produit sous le nom de Lefty King, en duo avec le trompettiste Art Tricky McPhee. Rose se transforme en Rosie Rainbow et se joint aux deux musiciens dans un trio qui connaît un véritable succès, allant même jusqu’à enregistrer un disque, « Two little birds ». Ils jouent dans toutes les boîtes à la mode de la métropole, du Maroon Club et de La Casa Loma de la rue Sainte-Catherine au Lion d’Or de la rue Ontario. Malheureusement, la nouvelle vague musicale qui déferle sur la fin des années cinquante va changer la donne pour notre trio. Ils retrouveront cependant de leur entrain lorsqu’une tournée s’organise, les amenant de New York jusqu’à La Havane, en passant par les bars de La Nouvelle-Orléans. Rose ne saute pas de joie à l’annonce de la tournée, mais elle s’y pliera volontiers pour suivre l’homme qu’elle aime, Lefty.Un récit parallèle est mené en même temps que celui de Rose. En 2002, à Paris, Victor Weiss est interpellé par des agents de la CIA. Le professeur d’anthropologie apprend qu’il serait mort dans l’écrasement des tours jumelles, les preuves d’ADN trouvées sur un cadavre l’identifiant formellement. Il est stupéfait de découvrir à ce moment-là qu’il a un jumeau, jusque-là inconnu, Victor ayant été adopté à la naissance. Ce frère, clochard, vivait à New York. Le professeur mettra tout en œuvre pour trouver des informations sur son frère et, par le fait même, sur cette famille qu’il n’a jamais connue. Cette quête commence par le mener à New York, mais là n’est que le premier arrêt de son périple.
De la grande bande dessinée Ce résumé se veut le plus concis possible, car loin de moi l’idée de trop révéler de ce récit fascinant et magnifiquement construit. Claude Paiement manipule le lecteur de façon hitchcockienne, en lui dévoilant, une pièce à la fois, les morceaux de ce puzzle plus compliqué qu’il n’y paraît. Les recherches documentaires qu’ont dû effectuer les auteurs portent leurs fruits, et ce, autant dans le scénario que dans le dessin. Jean-Paul Eid a produit ici un de ses plus beaux albums, lui qui ne cesse de nous étonner par la qualité et l’ingéniosité de son trait. Le volumineux livre de deux cent vingt-sept planches brille par sa conception. Le dessin réaliste en noir et blanc apporte aux personnages à la fois une clarté et un côté sombre. Chaque planche est conçue différemment, la forme et la grandeur des cases varient, certaines séquences de plusieurs pages n'affichent aucun dialogue laissant le dessin nous imprégner. Ces passages ne brisent jamais le rythme, au contraire, ils apportent des informations et des indices sur la suite des choses. Certaines planches reproduisent des artéfacts du Montréal des années cinquante, que ce soit des cartes postales, des articles de journaux, des cartons d’allumettes ou des photos d'époque. Tous ces détails plongent davantage le lecteur dans le réalisme du récit.
Vous aurez compris que je ne saurais vous conseiller avec assez d'insistance cette lecture remplie de rebondissement, mais surtout d'humanité. Vous aurez entre les mains ce qui s'avère un des meilleurs albums de bande dessinée de 2016, tous horizons confondus.
François Cloutier
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